Peu de villes sont aussi reconnaissables que Paris au premier coup d'œil. La capitale est en effet indissociable du legs du Second Empire, les immeubles haussmanniens représentant encore 60% de son bâti. Son évolution ne s’est pourtant pas arrêtée au 19e siècle ! L’assouplissement des règles d’urbanisme au début du siècle suivant en ont fait un terrain d’expression pour des architectes novateurs qui redessinent certains quartiers et redéfinissent nos manières d’habiter. Je Rêve d’une Maison vous dit tout sur l’évolution de l’architecture de Paris au cours du 20e siècle.
En 1902, un nouveau Règlement d’urbanisme (ex Plan Local d’Urbanisme - PLU) entre en vigueur à Paris et assouplit les règles d’urbanisme. Il libère la créativité des architectes et donne naissance à de nouveaux styles et écoles de pensée. “Entre 1900 et 1910, nous assistons à une véritable explosion de nouvelles expressions architecturales” fait remarquer Benjamin P., chasseur immobilier chez Je Rêve d’une Maison.
Les premiers assouplissements du Règlement d’urbanisme parisien en 1884 et 1893 débouchent sur l’apparition d’un courant néo-haussmannien ou post-haussmannien qui prend quelques libertés par rapport aux règles très standardisées définies par le Baron Haussmann. Il permet notamment l’intégration de nouveaux matériaux comme la brique, et voit apparaître certaines fantaisies comme les dômes surmontant certains immeubles en angle de rue, ou les loggias et les bow-windows.
À partir de 1902, l’alignement uniforme des immeubles n’est également plus un critère systématique, certains d’entre eux étant désormais construits légèrement en retrait par rapport aux constructions mitoyennes. Autrefois réservé à la construction d’infrastructures, le béton armé fait aussi son apparition, notamment dans les réalisations de l’un des architectes français qui marquera le plus le 20e siècle : Auguste Perret.
Jusqu’aux années 20, la capitale voit apparaître des styles plus “fantaisistes”, comme :
À partir de 1910, un autre grand style architectural va laisser une empreinte significative sur le paysage de la capitale : l’Art déco. Porté par plusieurs architectes prolifiques comme Michel Roux-Spitz, Marcel Hennequet ou Henri Sauvage, il intègre de manière systématique le béton et se démarque de l’Art Nouveau par son esthétique épurée, sa symétrie et ses formes géométriques.
Michel Roux-Spitz, 1929
Marcel Hennequet, 1930
L’Art déco met également l’accent sur le confort de ses occupants. “Il ambitionne de fabriquer un espace domestique moderne, apparaissant ainsi comme un premier vrai courant de rupture” complète Benjamin P. Il se distingue notamment par la rationalité du plan intérieur avec des espaces ouverts et un nombre réduit de murs porteurs, parfois remplacés par des poteaux ronds.
Marcel Hennequet, 1933
La volonté de révolutionner les manières d’habiter s’empare des architectes au début du 20e siècle. Mais elle ne concerne pas uniquement l’habitat des classes aisées comme l’illustre l’explosion des projets d’Habitations à Bon Marché (HBM) entre 1910 et 1935. L’esthétique de ces constructions varient selon les architectes, tantôt d’inspiration anglo-normande comme chez Émile Blois, ou plus austères comme chez Auguste Labussière. Elles sont cependant presque systématiquement dotées d’une ossature en béton bois, d’un revêtement en briques et organisées autour d’une cour végétalisée. À Paris, les HBM se concentrent principalement au niveau des boulevards extérieurs, près de l’actuel périphérique.
Malgré ces évolutions, la distribution intérieure des pièces (vestibule, salon, salle à manger…) varie peu du plan haussmannien classique au cours des premières décennies du 20e siècle.
Les choses commencent à changer dès les années 20, lorsque les premières expressions du Mouvement moderne font leur apparition, dans le sillage des avant-gardes qui révolutionnent plusieurs champs artistiques comme la peinture et la sculpture. Il constitue la première vraie grande rupture, même si les premières commandes restent confidentielles et essentiellement le fait de quelques riches mécènes.
À Paris, le Mouvement moderne est porté par plusieurs architectes comme André Lurçat (la Villa Guggenbühl dans le 14e arrondissement de Paris), Pierre Chareau (la Maison de verre dans le 7e arrondissement), Adolf Loos (la Maison Tristan Tzara dans le 18e arrondissement) ou Bruno Elkouken qui crée des ateliers d’artistes et un cinéma, comme le Studio Raspail dans le 14e arrondissement. Une figure va cependant se détacher pour marquer durablement l’univers de l’architecture : Le Corbusier. L’architecte suisse se réapproprie certains préceptes de l’architecture industrielle et crée de nouvelles façons d’habiter, davantage centrées sur le confort de ses habitants. “Pour laisser entrer la lumière, il reprend par exemple la forme des sheds des toits d’usines et crée de grandes surfaces vitrées sur les façades. L’Atelier Ozenfant construit en 1923 dans le 14e arrondissement représente la première manifestation parisienne de son travail” résume Benjamin P.
Le Corbusier, 1924
Ses constructions se distinguent également par leurs fenêtres en bandeau et par leurs façades libres et surélevées grâce à des pilotis. À l’intérieur, le plan libre s’affranchit des murs porteurs. Autant d’innovations qui vont ouvrir la voie à un nouveau foisonnement architectural.
En dehors de quelques maisons individuelles, peu d’immeubles d’habitations seront construits par l’avant-garde moderne durant l’entre-deux-guerres, avec l’exception notoire de Jean Ginsberg, qui réalise plusieurs très beaux bâtiments dans l’ouest parisien.
Jean Ginsberg, 1934
La Seconde Guerre Mondiale va marquer un coup d’arrêt des expérimentations du Mouvement moderne. Au sortir de la guerre, les impératifs ont changé. “Pour répondre aux besoins urgents de la reconstruction et faire face à la pénurie de logements, il faut construire vite et peu cher : c’est le début de l’architecture de masse et la naissance des grands ensembles” explique Benjamin P.
Cet impératif donne naissance au Style international (1950-1970), caractérisé par ses façades dotées de grands rideaux de verre et, en France, par l’utilisation systématique du béton, très adapté à une production de masse. Ce style est porté par plusieurs architectes emblématiques dans notre pays, comme Jean Dubuisson ou Édouard Albert.
Edouard Albert, 1961
Jean Dubuisson, 1966
À partir des années 1960, une nouvelle génération va cependant entrer en dissidence. Aux inspirations industrielles des premiers modernes, elle oppose une réelle fascination pour les formes géographiques et organiques naturelles spontanées. On parle alors d’architecture proliférante.
Anger, Heymann et Puccinelli, 1959
Anger, Heymann et Puccinelli, 1962
Cette génération va aussi chercher à apporter des éléments de confort dans les appartements, via l’aménagement systématique de balcons et de loggias. Les résidences de standing du trio d’architectes Anger, Heymann et Puccinelli faisant partie des illustrations les plus emblématiques à Paris.
Dans les années 1970, une autre génération d’architectes s’élève contre “les bâtiments désarticulés et décontextualisés construits depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale” note Benjamin P.
Sans tomber dans le pastiche, elle va chercher à renouer avec des expressions et matériaux plus classiques (pierre, fenêtres verticales…), ainsi qu’avec les formes urbaines traditionnelles de la rue, de la place et de l’îlot, loin des tours et autres barres d’immeubles de l’architecture de masse. L’objectif est alors de “refaire de la ville”. Cette tendance est portée par plusieurs architectes phares comme l’Italien Aldo Rossi et les Français Paul Chemetov ou Christian de Portzamparc. Ce dernier est l’auteur des Hauts de Forme, un complexe résidentiel érigé en 1979, véritable manifeste de son concept d’îlot ouvert qui crée des traversées végétalisées entre les immeubles et se conçoit comme un “morceau de ville”.
Christian de Portzamparc, 1979
Ces expérimentations vont donner lieu au mouvement post-moderne à partir des années 80 qui vire malheureusement rapidement vers le pastiche et dont les réalisations ont aujourd’hui plutôt mal vieilli.
Les années 90 marquent un autre tournant : celui de la fin des grands courants architecturaux. La production architecturale n’est désormais plus rassemblée au sein d’un unique courant de pensée mais portée par une constellation d’agences et d’architectes aux valeurs et aux styles qui leur sont propres.