Technologie, écologie, économie et maintenant réglementation, jamais les planètes n’ont été autant alignées pour développer le foncier aérien à Paris. La surélévation de derniers étages d'immeubles, toits plats ou "dents creuses" représenterait en effet un gisement de 40 000 logements nouveaux. D'où vient cette manne inespérée et où se trouve-t-elle ? Pourquoi la redécouvre-t-on maintenant ? Petite revue sur les toits de Paris.
La nouvelle bataille de Paris est lancée : elle sera verticale. C'est le nouveau fer de lance en terme de logement de la mairie de Paris qui redécouvre un potentiel inexploité sur nos toits. Il faut dire qu'il n'y a plus trop le choix en matière d'urbanisme. Suite à la COP 21, il a fallu s'engager à limiter l’étalement urbain pour arrêter de grignoter les espaces verts et il n’y a plus de surface constructible à Paris, ville ayant déjà la plus forte densité d’habitants d’Europe (20 000 habitants au m²).
Une seule solution : la surélévation ! Occupons-nous enfin des toits terrasses et de nos dents creuses !
Dent creuse (n.f.)
1. dent atteinte par la carie.
2.(urbanisme) espace résiduel non construit entouré de parcelles bâties (ex. les promoteurs sont à la recherche des dents creuses pour y construire de nouveaux immeubles.)
Immeuble d'angle et dent creuse à Paris
Retour vers le futur
Mais ce n'est pas si nouveau. Paris s'est toujours construit, contrairement à ce que l'on imagine, par ajouts successifs d'étages et de toitures.
Au départ, et même lors de la grande période de construction haussmannienne, on ne s'intéressait pas trop au dernier étage sous les toits et y habiter n'était pas un signe d'élévation sociale. C'était l'étage des "chambres de bonnes". L'étage noble était en fait au deuxième, les clés historiques sur les appartements haussmanniens éclairent sur ce sujet.
A partir de 1880 néanmoins, la généralisation des ascenseurs dans les immeubles de logements rend facilement accessible les étages supérieurs. On commence aussi à apprécier d'être éloigné des nuisances de la rue, mieux éclairé, bien ventilé et de bénéficier d'une belle vue dégagée.
En 1902, une réglementation plus souple amplifie le mouvement de construction en surélévation, d'un ou deux étages généralement, représentant jusque 20% des permis de construire de l'époque. Certains immeubles sont ainsi autorisés jusqu'à 31 m de hauteur, notamment dans tous les arrondissements centraux de Paris du 1er au 10ème.
Après la deuxième guerre mondiale cependant, deux éléments vont fortement ralentir le phénomène :
- D'une part, le statut foncier de la majeure partie des immeubles de logements parisiens évolue à partir de 1960. Auparavant détenus par un propriétaire unique, ils deviennent des biens en copropriété. Ce qui relevait avant d'une décision personnelle devient une décision collective. Faute d'accord au sein des copropriétés, beaucoup de projets de surélévation échouent, comme dans un mariage difficile !
- D'autre part, la prescription au milieu des années 60 d'un Coefficient d'Utilisation des Sols (CUS) et de nouvelles règles d'urbanisme amènent à privilégier des opérations de démolition-reconstruction de bâtiments plus hauts et plus modernes, au détriment de la surélévation des bâtiments anciens en alignement des rues.
A partir de la fin des années 70, c'est même la Bérézina. Désenchanté par les plans libres des années 60-70, le conseil de Paris approuve un Plan d'Occupation des Sols (POS) beaucoup plus restrictif en terme de hauteur. Il fixe aussi à 3 le Coefficient d'Occupation des Sols (COS), c'est à dire le rapport entre la surface de plancher et la surface au sol et donc le niveau de densité urbaine, soit bien en dessous des constructions existantes.
En 1977, le plan d'urbanisme finit de figer pour plusieurs décennies le plafond des hauteurs à Paris, à 25 m dans le centre de Paris et 25 à 31 m dans les arrondissements périphériques.
Exemple de surélévation à Paris
Boutin, Duflot et Hidalgo, reines des cieux à Paris, qui l'eût cru !
Depuis quelques années cependant, une série de dispositions réglementaires viennent relancer ce mouvement, notamment :
- La loi Boutin de 2009 qui supprime le droit de véto des copropriétaires du dernier étage.
- La loi ALUR de Cécile Dufflot en 2014 qui supprime le COS et permet à ⅔ d’une copropriété d’être décisionnaire dans la vente d’un toit à surélever.
- Le changement du Plan Local d'urbanisme (PLU) en 2014 de la maire de Paris Anne Hidalgo qui permet désormais de monter plus haut dans les constructions.
En cause, le besoin criant de logements à Paris, le coût excessif du foncier constructif et la nécessité de lutter contre l'étalement urbain. La surélévation est redevenue une solution intéressante pour les urbanistes et les politiques publiques.
Pour la mairie de Paris, c'est aussi une façon cohérente de pousser un deuxième cheval de bataille, la végétalisation des toits, véritables poumons dans la ville.
La maire du 9ème arrondissement, Delphine Bürkli, a bien tenté un temps de faire classer les toits de Paris au patrimoine mondial de l'Unesco, limitant de facto les constructions et aménagements en hauteur. Cela s'est terminé par une simple reconnaissance du métier de couvreur de toits. Quand logement et écologie se rejoignent, on n'arrête pas le train du progrès... !
Bref, depuis quelques années, un toit est plus que jamais un foncier qui s'ignore ! Tout le monde veut construire en hauteur.
Il faut dire que sur le papier, économiquement, il n'y a pas photo non plus : avec un prix moyen d'appartement existant à 10.000 €/m2 à Paris, une construction sur les toits, même à 4 ou 5.000 €/m2 est une bonne affaire. C'est d'ailleurs une des opportunités intéressantes pour qu'un projet de rénovation reste un bon plan.
Les "topagers" à Paris
Un potentiel foncier aérien énorme
L'Atelier Parisien d'Urbanisme (APUR) a fait un vaste travail d'évaluation du potentiel de surélévation en 2016. A l'arrivée, ce sont 9000 parcelles (des 75 000 que compte la ville), soit 9%, qui pourraient faire l'objet d'un projet de surélévation d'immeubles sur rue :
- 1.600 parcelles ou 2.370 immeubles sur des avenues de grande largeur (plus de 22 m) que l'on trouve plutôt en périphérie sur les boulevards Maréchaux et dans les 14ème, 13ème, 12ème et 20ème arrondissements. Ces emplacements ne sont pas sur des rues soumises au plafond de hauteur de 25 m (dans le centre) ou à un filet de hauteur du PLU censé préserver une certaine homogénéité du paysage urbain, une "skyline" pour les urbanistes.
Voies de plus de 22 m de large hors plafond de 25m et non bordées par le filet de hauteur au PLU
- 4.900 parcelles ou 6.600 immeubles sur des rues de moyenne largeur (moins de 22 m), que l'on trouve dans les arrondissements non centraux de Paris, répartis de façon éparse. Ils correspondent à des écarts de hauteur de plus de 3 m (soit un étage a minima de construction additionnelle) entre la hauteur moyenne réelle et la hauteur autorisée dans la zone. On est assez proche dans ce cas, du concept de "dents creuses".
Immeubles surélevables - rues 12-15m large
- 2.500 parcelles et autant d'immeubles d'angles de rue ou de carrefours, réparties dans à peu près tous les arrondissements parisiens, sauf l'hyper centre et le 7ème arrondissement. Ceux-ci sont particulièrement intéressants d'un point de vue surélévation car ils proposent une vue dégagée dans plusieurs directions et ont beaucoup moins d'enjeux de vis-à-vis. L'absence de bâtiments "de second rang" (en arrière) facilite également la surélévation car il y a moins de nuisance pour les voisins.
Immeubles d'angle non bordés d'un filet de hauteur
Résultat, même en ôtant les projets qui n'aboutiront pas du fait des blocages de riverains ou des contraintes réglementaires de bâtiments en second rang sur les parcelles plus profondes, les surélévations d'immeubles représentent une manne inespérée de 40.000 logements à Paris.
Du fait de leur localisation, ces immeubles présentent à la fois des possibilités de logements de prestige comme de logements plus abordables, voire de logements sociaux.
Alors, prêts à vous lancer dans des projets de surélévation ? Ce n'est pas le potentiel qui manque dans Paris. En tout cas, vous ne pourrez pas dire que vous ne le saviez pas.
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Eric Chatry
Cofondateur de Je Rêve d'une Maison, Eric est passionné d'immobilier et d'innovation avec une vision centrée autour des problématiques des acquéreurs.